SOTEU 2025 : l’Europe doit choisir la défense commune

Chaque année, au Parlement de Strasbourg, l’Europe se tient devant son miroir et s’offre un moment rare d’introspection. La rentrée politique européenne s’ouvre par un exercice singulier, celui du discours sur l’état de l’Union. Le State of the Union renvoie aux Européens le reflet de leur fragilité, de leurs hésitations, mais aussi de leur puissance latente. Trop souvent, en France, ce rendez-vous glisse sur nos consciences comme une rumeur lointaine et passe inaperçu. Comme si notre destin se jouait ailleurs. Comme si l’Europe n’était qu’un arrière-plan et non le théâtre principal de notre avenir. Pourtant, c’est là que se dessine notre destin commun.

En 2025, l’attente est immense. Nous vivons dans une époque où l’histoire a cessé de nous ménager. L’illusion d’un continent à l'abri des ouragans géopolitiques se brise. Et pendant que d’autres puissances s’assument, l’Europe semble ne pas vouloir assumer le rôle qu’elle pourrait avoir dans l’histoire. 

L’Europe et l'International

À Beijing, l’image était frappante,  la Chine, la Russie et l’Inde réunies, affichant une entente qui se veut une alternative au monde dominé par Washington et un monde où l’Europe est absente. Mais devant ces deux pôles, l’Europe n’a pas à choisir un leader. Elle doit devenir une puissance en soi, économique, politique, militaire, définissant son agenda et le suivant avec constance. Mais cette indépendance n’est pas possible si nous restons fragmentés.

L’avertissement lancé à Berlin l’hiver dernier par Boris Pistorius, ministre allemand de la Défense, « une guerre sur le sol européen avant la fin de la décennie », doit être entendu. Ce n’est pas du catastrophisme mais un constat. Si nous ne renforçons pas dès maintenant notre capacité de dissuasion, nous serons condamnés à subir. Le temps n’est plus aux demi-mesures. L’unité européenne a prouvé qu’elle n’était pas un vœu pieux. La cohésion que nous avons su trouver face à la Russie n’est qu’un prélude. Elle ne deviendra force qu’à condition d’oser rompre avec la paralysie institutionnelle.

Défense européenne et marché unique

Les enjeux de 2026 ne laissent aucune marge au SOTEU de cette année, la question de la défense devra être au cœur des débats. Une armée européenne n’est plus une utopie fédéraliste. C’est une exigence historique. Avec un commandement intégré, une mutualisation des moyens, une industrie tournée vers l’avenir, l’Union deviendrait un acteur militaire crédible. Et surtout, elle s’affranchirait de cette dépendance aux États-Unis qui nous laisse vulnérables tant sur le plan militaire qu’économique.

En effet, la défense c’est avant tout une question industrielle, technologique et budgétaire. Le Livre blanc européen Readiness 2030 rappelle l’ampleur des manques : stocks de munitions, mobilité des troupes, défense aérienne, cybersécurité… Tant que perdurent les doublons et les chaînes dispersées, nous empilons des coûts et perdons du temps. 

L’Europe a déjà lancé le plan ReArm Europe qu’il va maintenant falloir matérialiser en véritable marché unique de la défense, capable de soutenir notre compétitivité autant que notre sécurité. L’outil SAFE (Security Action For Europe) cumule 150 milliards d’euros de prêts adossés à l’Union. Cet instrument vise à enlever le réflexe du “sur étagère” et le confort de l’extra-européen. 

La guerre nous a forcés à quadrupler des cadences et elle doit maintenant nous obliger à les mutualiser. La France a une responsabilité particulière par ses industries spécialisées, Dassault, Safran, Thales, MBDA, Nexter, Naval Group, Airbus, Orange Cyberdefense… nos industries ont un avenir et une opportunité unique pour assurer des bons de commande communs, à la condition d’accepter la logique du marché unique de la défense. Cela veut dire des cadences garanties par des commandes groupées sans fermer la porte aux alliés. 

Relation EU-UK

En effet, au-delà de l’UE, la question des relations avec le Royaume Uni sera aussi cruciale. Prisonniers des rancunes du Brexit, Londres et Bruxelles se sont longtemps regardés à distance. Mais sans le Royaume-Uni, notre architecture de sécurité reste incomplète.

Un vrai dégel s’est déjà opéré en signant le “Security and Defence Partnership” le 19 mai dernier. Ce partenariat prévoit notamment l’ouverture à des coopérations CSDP (politique de sécurité et de défense commune), des échanges structurés sur la mer, l’espace, le cyber et les menaces hybrides, jusqu’aux exercices de gestion de crise et au partage d’informations classifiées. Sur l’Ukraine, l’articulation entre EUMAM (mission d'assistance militaire de l'UE à l'Ukraine) et l’opération INTERFLEX (équivalent anglais), formant plus de cent vingt mille soldats, a prouvé que l’île et le continent partagent une vision commune.

Conclusion

L’histoire ne laisse plus à l’Europe le droit de procrastiner. Le SOTEU doit donc être l’occasion de dire les choses franchement, si elle ne se protège pas elle-même, l’Europe ne sera plus protégée. 

La Commission pourrait annoncerer un couloir réglementaire clair incluant des procédures de passation simplifiées pour les achats conjoints, délais harmonisés pour les licences intra-européennes, transferts d’équipements accélérés, TVA neutralisée pour les acquisitions financées par SAFE, afin de garantir que l’argent public finance l’union et cesse d'entretenir la fragmentation. 

Il faut pour cela une main qui coordonne. Un office européen des achats, léger et obstiné, viendrait agréger la demande, sécuriser les spécifications, et publier un tableau de bord public de la préparation industrielle : cadences, goulets d’étranglement, délais de traversée des frontières, exposition aux composants tiers. 

Le SOTEU 2025 peut en être la première page, si l’on accepte d’écrire avec une seule main ce que, jusqu’ici, nous traçions à vingt-sept.

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